Les articles > Tiers-lieu et FabLab : Quand l’art rencontre les technologies numériques au Château Éphémère
J’ai toujours été particulièrement intéressée par les tiers-lieux, les valeurs qu’ils portent et transmettent, l’esprit collectif au service du collectif et de la communauté. Quand un FabLab est associé à cette dynamique, c’est le combo idéal pour créer, partager, apprendre, faire ensemble.
Le Château Éphémère, anciennement château Vanderbilt, détonne dans le paysage urbain de Carrières sous Poissy, classé zone prioritaire. Lieu patrimonial reconverti pour la création, il ne peut qu’inspirer ses artistes en résidence et offre au public, en plus de ces évènements, un éventail d’accès et d’initiations sur les technologies de demain.
Né d’une initiative de la GPSEO (Grand Paris Seine & Oise) et porté par l’association Vanderlab, le Château Éphémère s’inscrit dans une démarche ambitieuse de développement culturel autour de la fabrication sonore et numérique. Le Château Éphémère accueille chaque année plus de 50 résidences artistiques, au croisement des arts numériques, visuels et sonores.
Issus du milieu de la recherche, des arts sous toutes ses formes, et du monde des makers, leurs artistes sont porteurs de projets qui interrogent, expérimentent, explorent l’impact des innovations technologiques sur nos vies avec des créations qui ne vous laissent généralement pas indifférents, vous transportent dans leur univers et qu’ils partagent lors des évènements du Château (performances, installations, concerts, projections…)
Leur FabLab représente selon moi le trait d’union entre l’artiste et le public.
Espace d’expérimentation pour l’un et d’apprentissage pour l’autre, le Fablab du Château les connecte.

En témoigne Amélie Samson, artiste en résidence :
Son projet : elle place au centre de sa pratique la co-création dans un réseau qui se compose aussi bien d’entités humaines que non-humaines comme les machines. Très tournée vers le numérique, elle développe des projets qui lui permettent de questionner et contester la manière dont les technologies entrent dans nos vies et les limites qu’elles imposent. Pourtant, ses projets démontrent aussi que les possibilités du monde virtuel ouvrent de nouveaux champs d’expérimentation. À travers l’utilisation de techniques traditionnelles (dessin, céramique) et contemporaines (électronique, fabrication assistée par ordinateur), elle dresse un pont entre analogique et numérique, tout en interrogeant les interactions homme-machine.
En quoi le fablab du Château Éphémère a-t-il enrichi ou transformé ton approche créative ?
« Pouvoir expérimenter ses idées instantanément en résidence d’artiste est un bel atout. Cela permet d’avancer plus vite, d’éliminer certaines pistes et d’en poursuivre d’autres chaque jour. Les temps de résidence sont courts et doivent être intenses pour bien avancer dans son projet. Avoir un fablab disponible au Château juste à côté de mon atelier m’a permis d’avancer efficacement et d’identifier le processus créatif qui permet de donner forme à mes créatures. Le fablab est aussi un lieu de rencontre avec les autres artistes en résidences, les adhérents ou les acteurs de la vie du château. Ces rencontres permettent d’échanger ses idées et ses connaissances et de faire évoluer nos projets et nos approches respectives. Travailler dans un fablab permet de garder une ouverture sur le monde dans un moment où, en tant qu’artiste, on est parfois très concentré sur ses projets personnels.

Quels outils ou technologies disponibles dans le fablab as-tu trouvés les plus utiles pour ton projet ?
« J’ai divisé mon temps de résidence au Château éphémère en deux parties. Dans un premier temps, je me suis consacrée à identifier le processus permettant de donner un corps à mes créatures. J’ai commencé par enregistrer les sons parasites liés à nos usages numériques. Puis j’ai analysé les spectres, les représentations graphiques de ces sons, pour les passer en trois dimensions sur mon ordinateur. Cela créait donc des textures associées aux sons. Le but était ensuite d’utiliser ces textures pour créer la peau et les couleurs de mes créatures. Celles-ci sont réalisées en silicones afin d’être flexibles et de pouvoir leur donner un mouvement de « respiration » grâce à des pompes à air.
Je devais donc trouver un moyen efficace de donner forme à ces créatures en silicone. Pendant mes deux premières semaines, je me suis beaucoup servi des imprimantes 3D du fablab. Cela m’a permis de tester plusieurs processus de coulage de silicone dans des moules imprimés en 3D et d’identifier celui le plus efficace. Grâce à mes moules imprimés en plastique, j’ai pu tester les couleurs de silicone que je voulais obtenir, mais aussi les épaisseurs, les échelles…
Mes deux dernières semaines ont ensuite été consacrées à la partie pompe et électronique qui permet d’activer le dispositif et de faire bouger les créatures. L’avantage de la présence du Fablab directement au château est que j’ai pu avoir accès à tout un tas de matériel en lien avec l’électronique pour mener mes tests. Multimètre, fer à souder, petits éléments comme des résistances ou des leds, des breadboard et des câbles pour effectuer des branchements rapides, etc. Tester avec le matériel du Fablab m’a permis d’identifier les composants dont j’avais besoin et de commander ensuite ceux qui étaient adaptés à mon projet. »

Peux-tu partager un exemple concret où l’accès au fablab a joué un rôle dans la réalisation d’une œuvre ou d’un prototype ?
« Mon projet artistique repose entièrement sur l’utilisation de l’impression 3D. Cette technologie est nécessaire car elle me permet de créer des représentations fidèles et directes des sons que j’enregistre. C’est une démarche que l’on pourrait qualifier de « data-sculpture », j’utilise ici des données sonores caractéristiques de notre usage du numérique pour créer des formes en trois dimensions. Mais ce processus créatif est rendu possible uniquement grâce à l’utilisation de machines à commandes numériques. L’accès au fablab était donc nécessaire pour produire mon œuvre. Mon approche est double oscillant entre fascination pour la technologie, qui me permet de réaliser des moules imprimés extrêmement précis, et appréhension critique de ses implications dans notre société.
L’utilisation des machines du fablab pendant ma résidence m’a également permis d’identifier des contraintes techniques auxquelles je n’avais pas pensé avant. Par exemple, j’ai pu constater que certaines pièces coulées dans mes moules imprimés n’étaient tout simplement pas démoulables ! J’ai donc dû reconsidérer entièrement le processus créatif à plusieurs reprises. » [fin de l’entretien]
Les ateliers famille avec les artistes en résidence rendent accessibles des processus de création complexes. J’ai pu le constater lors de mon stage chez eux, avec Kévin Ardito proposant la création d’un jeu vidéo avec l’IA , d’une méduse 3D pour un atelier sur le milieu aquatique avec Julie Everaert.
Le fablab permet un apprentissage récréatif et concret des nouvelles technologies, tout en abordant l’aspect préventif sur son bon usage et l’univers qu’ils défendent.
Tout comme pour le public, le fablab est une porte ouverte à la création que même les artistes ne soupçonnent pas. Cela a été le cas pour ZWAÏ . Lors de leur entrée en résidence, avant de prendre leur quartier, il ont visité tous les espaces du Château. Leur atelier étant en face du fablab, ils ont été d’abord curieux de voir ce que l’on pouvait y faire, avec comme première pensée que ce n’était pas utile dans leur domaine. Après une initiation à la brodeuse numérique et le fait d’être voisin de palier un court instant au Château, ils s’initient aujourd’hui à différentes machines que ce soit pour personnaliser des vêtements ou imaginer la création d’éléments de décor qui pourraient enrichir leur scénographie.

Pluridisciplinaire, hybride, innovant, ce lieu mérite d’être connu.
Tout comme La Lanterne à Cergy Pontoise, une magnifique et atypique ancienne école réhabilitée en tiers-lieu culturel, fabrique de territoire, engagé dans l’éducation populaire. J’y verrais bien un petit fablab !
Laetitia SAUDRY,
apprenante du Diplôme Universitaire Fabmanager, technique de facilitation et de fabrication numérique, promo #15.